Pour penser la complexité latino-américaine

Con Morin en Pachamac, Perú

Entretien avec Edgar Morin

« Je me souviens, remontant loin dans ma mémoire, que la passion pour l’Amérique Latine m’est venue à Paris, peu après la 2e Guerre Mondiale, quand s’est produit le groupe de musiciens « Los Guaranis ». Cette musique, aux airs précolombiens hispanisés, comme « Carnavalito », créa en moi un premier élément mythologique d’attraction pour ce Continent et ses habitants, où le monde indien avait une place importante. Déjà, j’avais été très ému en lisant les récits sur la destruction par les « Conquistadores » de la civilisation précolombienne. D’autres éléments sont venus ensuite, comme l’admiration pour la civilisation métisse du Brésil. Cet amour virtuel pour l’Amérique Latine s’est cristallisé, je crois, à la fin des années 50 (…).

Nelson Vallejo-Gomez « Edgar Morin, en tant que président de l’APC, vous organisez au Brésil, en Amérique du Sud, le 1er CILPEC. Un moment important pour l’Association, puisqu’elle réunit, avec l’aide de l’UNESCO, de l’Université Candido Mendes et de diverses Fondations européennes, un grand nombre de chercheurs travaillant dans les pays latins sur le sujet de la complexité. Quelle est la genèse et quels sont les objectifs de ce Congrès ?»

« Je me souviens, remontant loin dans ma mémoire, que la passion pour l’Amérique Latine m’est venue à Paris, peu après la 2e Guerre Mondiale, quand s’est produit le groupe de musiciens « Los Guaranis ». Cette musique, aux airs précolombiens hispanisés, comme « Carnavalito », créa en moi un premier élément mythologique d’attraction pour ce Continent et ses habitants, où le monde indien avait une place importante. Déjà, j’avais été très ému en lisant les récits sur la destruction par les « Conquistadores » de la civilisation précolombienne. D’autres éléments sont venus ensuite, comme l’admiration pour la civilisation métisse du Brésil. Cet amour virtuel pour l’Amérique Latine s’est cristallisé, je crois, à la fin des années 50 (…).

D’autres éléments me sont venus plus tard, comme l’admiration pour la culture métisse du Brésil. Cet amour virtuel pour l’Amérique latine s’est cristallisé à la fin des années 1950 : j’ai été invité à un festival du film à Mar del Plata, en Argentine. Dans les années 1960, j’étais professeur invité à la FLACSO (Faculté latino-américaine des sciences sociales), créée par l’UNESCO au Chili. Cela m’a permis des étapes très riches existentiellement pour moi au Brésil, en Argentine, en Bolivie, en Equateur, au Mexique. Ce sont donc des éléments personnels de mon attachement à l’Amérique latine.

Déjà à cette époque et bien plus aujourd’hui, la pensée qui me semble essentielle, que j’appelle « pensée complexe », les problèmes qu’elle englobe, était mieux comprise par les intellectuels latino-américains que par les Français ; comme si la rigidité intellectuelle, les cloisonnements, les hiérarchies intellectuelles de la vieille Europe du Nord n’existaient pas dans ces pays latins ; et comme si, plus que dans d’autres pays, il y avait chez les intellectuels et chez tous les peuples de ces nations latino-américaines une volonté de comprendre les problèmes mondiaux, une préoccupation pour le sort des peuples. Ce n’est pas un hasard si le populisme a été si important dans son passé politique.

Il y a deux ans, lors des préparatifs à Bogotá et Medellín des premiers congrès colombiens sur la « pensée complexe », tout s’est cristallisé. Je vois que des personnes différentes, d’horizons et de disciplines différentes, se rencontrent à Medellín et vérifient que, sans se connaître, elles travaillent sur les mêmes préoccupations et sont animées du même souci de mettre en relation des connaissances, d’avoir une pensée concrète et vivante. Un réseau national spontané sur la pensée complexe s’y constitue alors.

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