Pour une nouvelle sacralisation de la famille

Je crois que c’est une prise de conscience de chacun dans ses relations avec autrui ; c’est-à-dire, nous vivons, nous devons avoir des relations de personne à personne avec nos micro communautés, et la première et fondamentale des communautés est la famille, ensuite, il y a celle des amis, puis, il y a la communauté plus étendue comportant des personnes que nous ne connaissons pas. Il ne faut jamais perdre l’un pour l’autre. »

Edgar Morin

Entretien avec Edgar Morin

Extrait

Nelson Vallejo-Gomez -« Famille, je te hais! », lisait-on sur les murs de Paris en 68. Qu’en est-il aujourd’hui d’un tel cri de colère? A qui, à quoi s’adressait-il au juste ? A la famille comme institution ? A la famille comme foyer et comme pierre angulaire de la société ? A la Sainte Famille, peut-être ? »
Edgar Morin -« « Famille, je vous hais! », c’est d’abord une expression d’André Gide fameuse dans la littérature du début de ce siècle. Je ne me souviens pas l’avoir lu ou entendu dans les rues de Paris en 68. Ce cri littéraire signifiait que la famille était perçue comme un obstacle à la liberté et à l’épanouissement individuel. C’est une négation de l’autorité inconditionnelle de la famille, de la dépendance du fils à l’égard du père, par exemple. Aujourd’hui, il n’y a plus d’autorité inconditionnelle de la famille, qui contraint à faire tel ou tel mariage, à choisir tel ou tel métier, etc. L’on n’entend plus ce cri de haine contre la famille. La famille est aujourd’hui fragilisée. »

NVG – « Quel lien y a-t-il entre famille, tribu et société ? »
E. Morin: – « On peut dire que dans l’humanité archaïque, la famille n’émerge pas en tant que noyau constitué par un père, une mère et des enfants, c’est le clan qui est, grosso modo, l’institution fondamentale. Dans le clan la femme est mariée à quelqu’un d’un clan extérieur. Il y a la pratique de l’exogamie. Souvent le frère de la mère joue un rôle paternel. La famille, qui est quelque chose de moins ancien, est marquée par le rôle devenu central et dominant du père. L’on peut dire qu’une famille large peut prendre l’aspect d’une tribu, par exemple Abraham qui donne naissance à une tribu. Si l’on veut voir le rapport famille/société, il faut voir que la famille est une organisation de base. Lorsqu’on pense à ce qui est fondamental dans la société, que cela soit le clan ou la famille, cette organisation est inséparable d’une réglementation de la sexualité. Celle-ci n’est pas libre. Il y a prohibition de l’inceste à l’intérieur de la famille. La sexualité est donc dérivée vers l’extérieur et organisée en fonction des alliances. Le mariage joue ici son rôle d’alliance entre familles. Dans nos sociétés la famille, la grande famille, avait été considérée comme unité de base de production, de base psychique, morale. Au cours de l’évolution
récente de la société, l’on voit se dégrader ces aspects. ».