« L’Amérique latine est un creuset de création en mutation permanente, vivante, une pouponnière étoilée de pensée méridionale, de pensée du sud, de pensée complexe ».
Edgar Morin
Par Nelson Vallejo-Gómez
Une version abrégée de ce texte fut rédigée à la demande de Marc Foucault et publiée dans la REVUE FORUM n°51, Paris, octobre 2013
Les pays d’Amérique-Latine vivent, chacun à leur façon, les tragédies
et les richesses de la globalisation et la prise de conscience de la
pensée du Sud, de la pensé méridionale, de la pensée globale, de la
pensée complexe, bref de la complexité. La richesse de la complexité,
c’est l’union de la diversité et de l’unité, les beautés créatrices des
rencontres et des métissages dans tous les domaines. La tragédie de la
complexité, c’est l’ampleur des antagonismes qui risquent d’être
destructeurs. Et pourtant encore, la démocratie est un régime complexe
qui se nourrit d’antagonismes d’idées, d’intérêts, mais qui est capable
de régler pacifiquement les nécessaires conflits propres à la lutte pour
la survie et les intérêts divers, à travers les débats, les
controverses, la créativité de l’intérêt collectif et des biens publics
communs. Le géni démocratique du vingtième siècle sera métisse ou il ne
sera pas.
En Amérique-Latine, le grand défi actuel est que les antagonismes,
qui la déchirent, puissent devenir productifs (les vieux conflits issus
de la colonisation entre la Colombie et le Venezuela, le Pérou, la
Bolivie et le Chili, par exemple). Aussi, les grands antagonismes
planétaires entre Nord et Sud, Est et Ouest, riches et pauvres,
hyper-développement et sous-développement sont-ils présents et actifs en
Amérique-Latine, et de manière plus violente qu’ailleurs. Certains pays
mêmes, comme la Colombie, vivent à la température de leur propre
destruction. Mais nous savons que les forces de vie et de création
peuvent utiliser les processus de destruction pour alimenter les
processus de régénération.
Il y a fort à parier qu’une nouvelle conscience latino-américaine émergera de cette situation unique, qu’elle puisera dans l’expérience du Sud, la technique du Nord, l’apport des cultures européennes et celui des sagesses asiatiques, la complexité latino-américaine elle-même, les ressources d’un nouvel élan créateur, un message de renaissance culturelle et intellectuelle qu’elle pourrait apporter au Monde, comme l’ont fait au quinzième et seizième siècles les cités de Toscane, qui ont produit la Renaissance européenne.